voir une langue
1 octobre 2009 § 12 Commentaires
Le 26 septembre dernier, on allait place de la République à la recherche d’une très ancienne boutique d’épices. En émergeant du métro, à quelques pas de la sortie, on aperçoit un attroupement autour de la place, des centaines de personnes massées aux pieds d’une statue, avec un ballon blanc géant, une espèce de montgolfière. On se dit : “Tiens, une manif.” Encore une ! Une manif, à Paris, j’en ai déjà parlé, c’est toujours un peu une fête. On s’approche, on veut connaître le pourquoi du comment. Mais de loin, déjà, on perçoit que tout est étrangement silencieux. Pas de sifflets, pas de cris, seulement quelques rires à résonnance bizarre, et… beaucoup d’agitation, beaucoup de vie, de gestes, et beaucoup de gens bien sûr : mais ce silence. Qu’est-ce que cette drôle d’atmosphère? Je trouve la réponse à mon questionnement imprimé en gros caractères sur le ballon d’hélium géant : Journée mondiale des sourds.
Pas question de manquer ça. On s’est mêlés à la foule. Imaginez : près d’un millier de personnes, venues des quatre coins de l’Europe, discutant entre elles à l’aide du langage des signes. Cela donnait une extraordinaire animation, quelque chose de différemment vivant : du mouvement, des échanges, beaucoup d’expression sur les visages, de grands sourires ou des sourcis froncés, mais avec ce silence autour… Une scène profondément émouvante. Je n’avais jamais rien vu de semblable. On aurait pu tirer un documentaire exceptionnel de ce qui s’offrait à nos yeux.
Mais pourquoi une manif? En cherchant j’ai pu apprendre que les sourds d’Europe et du monde réclament des gouvernements que des sommes soient investies afin qu’on revienne à un enseignement de meilleure qualité du langage des signes dans les écoles. Parce que semble-t-il que cela se perd, même en France qui a créé le tout premier établissement dédié à l’enseignement de ce langage en Europe, et parce qu’ils estiment que beaucoup de gens, à long terme, vont souffrir de ce manque. Il n’y a donc pas que la qualité de la langue française qui se sent péricliter et réclame des soins, mais aussi cette langue universelle et si utile à ces personnes privées d’ouïe, parce qu’elle leur permet de communiquer comme les autres et d’éviter autant que possible l’étiquette du handicap.
Toujours est-il que j’avais rarement vu aussi beau rassemblement. Est-ce le contraste d’un tel attroupement dans un Paris si pétaradant et si gueulard? Est-ce le besoin de silence? Pas seulement. Parce qu’en plus d’être une langue qui ne fait pas de bruit, il y a quelque chose d’impressionnant dans l’idée qu’elle soit (déjà) partagée par toutes ces ethnies, enfin à de minces nuances près, quelque chose de l’utopie qui se “réalise”, et qui ne prête pas à rire comme l’espéranto… C’est une image à laquelle j’avais déjà songé, mais cette occasion de la voir se concrétiser si spontanément devant nos yeux était sans doute unique. Et on n’en finissait plus de croiser des plus petits groupes de gens discutant par signes, dans les rues environnantes, et sur les terrasses des nombreux cafés des alentours. Terrasses bondées, sous le soleil, volutes de fumée, sourires, mains dansantes : dans ce silence qui parlait beaucoup.
Bravo , vous avez rencontré du monde, j’aime beaucoup votre article.
Vous avez appris certaines signes ,cette langue ?
Merci. Non, je n’ai pas appris, mais j’y pense depuis longtemps.
Bonjour, votre texte est très beau mais je voulais juste vous préciser que la langue des signes n’a rien d’universelle. Les différentes langues des signes sont des langues naturelles qui on émergées bien avant les moyens de communication moderne. Elles sont donc basées sur le vécu, les moeurs et la culture des gens. Elle est donc très différente selon les pays. Cependant, les Sourds peuvent se comprendre au bout d’un temps d’adaptation beaucoup plus court que le temps nécessaire à un entendant pour apprendre une 2ème langue.
Très joli texte, merci
morgane : Merci pour ces précisions. Je savais qu’il y avait des différences, mais je croyais qu’elles étaient minimes… Mes connaissances là-dessus sont approximatives! Par ce petit texte je voulais surtout communiquer une impression, celle d’avoir capté une forme de poésie qui m’était jusque-là inconnue, venue d’une parole très particulière et très belle.
le message de morgane est en partie incomplet parce qu’il existe toutefois une langue des signes internationale 😉
Quel idiot, je pensais à Morgane donc je me suis identifié comme si je m’appelais Morgane 😀
La question que se pose bien souvent l’analphabète (analphabète dans cette langue, ce que je suis): à quoi ressemblent les figures de style? les jeux de mots ou de gestes? les néologismes? les régionalismes? et même le non-dit… Ce qui invite en effet à les apprendre, ces signes.
Effectivement il y a une langue des signes internationale que les Sourds utilisent volontiers lors de congrès ou rencontres internationales…Mais il s’agit d’une langue à part qu’il faut connaître en plus de sa langue des signes nationale. Hobbes ta question est si complexe! Si tu en as la possibilité je t’invite vivement à prendre des cours de LSF (langue des signes française)
Ce n’est qu’une culturelle sourde, c’est un autre monde, une autre langue, une autre communication, un autre comportement. Bravo celui qui a ecrit c est juste ce qui existe l’autre monde. Merci…
bravo pour ton texte, et tu as eu la chance de découvrir une des plus belles langues au monde!!je suis entendante, mais j’y étais ce jour là, et j’en garde un très très bon souvenir!!!il y a juste une petite chose qui m’a génée dans ton texte, c’est quand tu emploies à plusieurs reprises le mot langage!!la LANGUE des signes est loin d’être un langage, elle est aussi riche que les langues parlées avec sa syntaxe et ses expressions propres!!!c’est également pour ça que les sourds ont fait cette manif le 26 septembre dernier, pour que la langue des signes soit reconnue comme une langue!!
@ marie-ange
Merci pour ces nuances mais il me semble avoir utilisé autant de fois le mot « langue » (notamment dans le titre!) que le mot « langage » pour décrire les signes… et si j’ai utilisé le mot « langage », ça n’était surtout pas dans un sens péjoratif. Je promets cependant d’être dorénavant plus attentive à cette nuance, étant moi-même très sensible à la définition de ce qu’est une « langue », en Québécoise que je suis.