chuchotement

15 janvier 2015 § 2 Commentaires

 

Ajouter une autre voix au vacarme ambiant ? non… ou alors un chuchotement.

Not afraid, était-il écrit. Maybe we should, but of something else, j’aurais aimé lire à la suite.

Des proches – malheureusement lointains, de l’autre côté de la grande flaque –, se montrent curieux d’avoir mon avis sur « ce qui se passe » à Paris. J’ai reçu plusieurs signes d’outre-mer de gens inquiets depuis « les événements ». Hier soir au téléphone, j’ai dû expliquer à ma mère qu’il n’y a pas de militaires dans les rues, non, je n’en ai vu aucun. Elle s’étonne. Elle en a vu plein à la télé.

Mon avis est un sentiment. J’ai envie d’écrire : je ne comprends pas bien ce qui se passe. Les opinions tranchées qui fusent de partout et se divisent un peu trop facilement entre les « je suis Charlie » et les « je ne suis pas Charlie » sont épuisantes. L’incompréhension manque. Il est tôt pour débattre. Une minute de silence, c’est trop peu. Nous sommes bien d’accord.

J’en suis pour ma petite part encore à l’étape du sentiment, disais-je. L’analyse qui pointe son nez entre mes deux oreilles est faite d’intuition et d’émotions. Mais peut-être vaut-elle la peine d’être écrite. À tout le moins, le geste de la rendre publique est motivé par l’envie sincère que j’ai de l’exprimer.

Je suis allée au rassemblement spontané du 7 janvier à République, le soir même de la tuerie. J’avais besoin de vivre ma sidération au milieu des autres et de voir quelle forme elle prenait chez eux. J’ai été tentée de rentrer à la maison quand j’ai vu quelqu’un, sur le monument, déchirer un Coran. Il s’est fait copieusement huer. Espoir, ai-je pensé en entendant la réaction dominante. N’était-ce qu’un petit incident ? ce geste, pour la plupart d’entre nous, aurait signifié que ces fascistes à barbe auraient gagné.

Hier soir, je n’ai pu regarder jusqu’au bout cette vidéo tournée à Lille où on voit des gens se chamailler pour avoir le dernier numéro de Charlie. Fallait-il qu’il y ait des morts pour que les gens « saisissent » la valeur d’une presse libre et indépendante ? En sommes-nous à ce degré d’engourdissement ? sans doute. Élan de solidarité… au point d’en venir aux coups ? Non sens. Le réveil est brutal. Va-t-il durer ? Je comprends que certains « vrais » lecteurs de Charlie soient mal à l’aise devant ce cirque. Ceux qui vous portent aux nues si brutalement, à qui vous n’aviez pourtant rien demandé, sont souvent les premiers à vous laisser tomber, tout aussi brutalement. Prudence car on voudrait se protéger du plus difficile de tout : le vide qui suivra.*

Tout ça pour en venir à. J’ai eu l’impression, dimanche, de voir s’agiter d’un grand spasme tout le corps social. Si nous sommes unis par la volonté de vivre au sein d’une société non raciste et tolérante, qui ne massacre pas les gribouilleurs de choses dérangeantes et ne menace pas la liberté d’expression par d’autres moyens que des discours et des idées, il semble que nous soyons aussi, surtout, unis sous une domination. La domination qui rend notre corps social malade (voire absent). Celle qui force ce corps à l’engourdissement à peu près généralisé pour sa survie ou sa vie fantôme. La domination de la classe dirigeante et de la culture du chiffre qui force à la précarité, qui cultive la haine et les inégalités, stigmatise et écrase les différences et fait souffrir les plus pauvres. C’est cette domination qui finalement, je ne suis pas la seule à le croire, provoque la violence à laquelle on assiste et permet que de jeunes français, oui répétons-le : nés en France, se sentent exister pleinement en accomplissant leur sainte mission de l’horreur.

Quelle est la source de la menace terroriste ? qui l’alimente ? où la situer, comment la comprendre ? qui nourrit cette barbarie ? pourquoi me fouille-t-on chaque matin, quand j’entre à la Bibliothèque nationale, ce (no man’s) land de la culture qui ressemblait déjà à un bunker ? pourquoi ce matin m’a-t-on particulièrement tâté le parapluie ? On en avait déjà soupé du mot « sécurité », nous voilà servis. On nous assomme maintenant d’un Vigipirate « niveau alerte attentat » parce qu’au-dessus du « niveau écarlate », on ne sait plus bien le nom des couleurs.

À qui profite ce climat d’insécurité ?

Non, maman, il n’y a pas l’armée dans la rue. Le treizième arrondissement est pépère : il l’a toujours été depuis huit ans que j’y vis. Je n’ai pas peur des terroristes, j’ai peur de voir s’anesthésier pour de bon ces milliers d’humains fantômes qui se sont jetés sur le dernier Charlie Hebdo, comme en un dernier sursaut de vie.

Un seul espoir : que le choc de ce meurtre rouge sang nous pousse à analyser les forces qui s’agitent sous le discours. Et par extension qu’il nous pousse à l’invention de luttes créatives, insoumises et pacifistes.

 

* Qui n’a pas déjà vécu semblable abandon? On se sent bébête d’avoir mal et d’y avoir cru. Ça n’était que coquille vide mais ça faisait parfaitement illusion. Petit poisson – besoin d’amour ? – a mordu à l’hameçon. Il se dit on ne m’y reprendra plus.

 

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