faut-il croire les Palmiers ?
26 juin 2009 § 1 commentaire
L’appartement où j’habite donne à l’avant sur une rue très bruyante et à l’arrière sur une cour pas jolie mais très calme, assez verte pour être propice à la reproduction d’authentiques maringouins parisiens que trop peu de chauve-souris viennent dévorer au soleil couchant. En automne et en hiver, le double-vitrage nous isole complètement, enfin presque, du bruit des sirènes, sifflets et autres flonflons du genre (nous ne sommes pas très loin d’une préfecture de police, c’est charmant). Mais l’été ça se complique. En ouvrant seulement les fenêtres qui donnent sur l’arrière, l’air ne circule plus et on éprouve très vite une sensation d’étouffement, de saturation. Et si on ouvre à l’avant, en plus d’une invraisemblable cacophonie c’est une terrible quantité de gaz carbonique qui entre dans le deux pièces, et à vitesse grand V. Là où ça se complique encore, c’est qu’à tous les matins de la semaine depuis plus d’un mois, dès 8h, des bruits de construction se font entendre à l’arrière, et ce jusqu’à 17h – scie à métaux, marteaux-piqueurs, etc. Et nous n’en sommes qu’aux fondations d’un immeuble à six étages.
Tout ceci d’ennuyeux à lire pour dire que mon envie de forêt (encore? elle nous gonfle…), toujours présente depuis des années, revient avec un tel impact en ce moment que j’en perds le goût de travailler. Je ne peux rester longtemps dans l’appartement sans ressentir les mâchoires d’un étau se resserrer sur moi. Plus le temps passe, et plus cela devient physique, plus l’angoisse devient palpable, physiologique. Bref, je suis entrée dans une période de “manque” irréversible. Il me faut mon fixe d’air pur. Mais que faire sans argent, sans voiture ?
À l’abri dans la bibliothèque, qui commence malheureusement à me lasser, je regarde ces gens autour de moi, et plus j’observe, plus le temps passe, et plus j’ai la certitude que je ne me ferai jamais à ce monde d’artifice, ce monde du beau vêtement et du beau bijou perpétuels. Jamais je ne m’y ferai. Je suis entourée d’universitaires et chercheurs bien sapé(e)s jour après jour, et me vient en filigrane l’envie croissante de me vêtir de plus en plus n’importe comment, de sortir cra-cra de chez moi, sans mascara, sac à main JAMAIS assorti aux chaussures, ongles natures, surtout pas “shinés”, pas chromés. (C’est plus fort que moi, tout ce sobre clinquant m’incite à porter des trucs joyeux, genre rayures roses et rouges, cheveux dressés sur la tête.)
Il me vient même des envies de grange, c’est tout dire. Des envies d’avoir une vache à traire le matin, avant la lecture. (Et sur ce point en particulier, l’homme s’inquiète vraiment.) Des envies d’odeur de fumier. Des envies de ne croiser âme qui vive, disons pendant au moins toute une semaine. De quoi aurai-je l’air à la parution du livre? d’une espèce de Scouine sortie tout droit de son terroir, d’une sorte de Sagouine ? d’une urbaine des bois ? d’une indécrottable rustique ? d’une indéprovincialisable ? Mais quelle honte. Déjà l’accent fera écran aux moindres paroles que j’oserai prononcer (ce qui n’est peut-être pas plus mal… c’est ça, c’est ça, il me faut un écran, gros gros écran derrière lequel me cacher). Que de plaisirs m’attendent, je le sens ! Ironie du sort. Il me semble que tout ceci relève d’une erreur monumentale. Je commence à croire ce psy raté à chemise à palmiers lâchée lousse sur bermudas, consulté un après-midi de l’an deux mil quatre en désespoir de cause et trouvé dans les pages jaunes au malheureux hasard du doigt, qui me taxa de masochisme juste avant de m’offrir un expresso d’un regard louche aux sourcils fournis, trop fournis. (Je le sais, ma phrase est longue et contient plus d’une idée : mauvais, mauvais, mauvais, le gars du matricule me l’a dit, et ça oblige à tout relire du début pour y voir clair.) Moi, masochiste ? Moi invitant le malheur à ma table, par exprès ? Tous ces efforts pour m’entendre dire cette horreur au tournant ? Pas possible. Non. En y pensant bien, pas possible. J’ai écrit un livre sans faire exprès. Je n’ai jamais voulu avoir mal, docteur. Même que je n’y tiens pas du tout. Même que si on me donne le choix : dans la main gauche une fraise tagada, la main droite un coup de massue, je choisis la fraise, je vous jure docteur, je choisis la fraise tagada, monsieur Palmiers, sans hésiter.
Tiens j’y pense. Et là je passe vraiment de l’âne au coq, chers (nombreux !) lecteurs (parce que ça se bouscule aux portillons, je le sais ! c’est wordpress statistics qui me le dit… et ce n’est pas ce billet qui élargira mon blog-lectorat). Saviez-vous que Julien Gracq s’appelait en fait Louis Poirier ? (Si oui : zut.) Pensez-vous vraiment qu’on lirait le Rivage des Syrtes d’un couvert à l’autre s’il avait été signé “Louis Poirier” ? (déjà que les pages sont non massicotées et que cela demande du courage, ce que personne n’avoue) De l’utilité des pseudonymes, je vous le dis. Il était pas maso, lui, le Gracq, euh le Poirier, hein monsieur Palmiers ?
Prochain épisode : un point commun entre Flaubert et le grand Louis de Pierre Perrault.
Et je recommande ceci à ceux qui, comme moi, sont abonnés à la mélancolie (sans faire exprès).
Quelle drôle d’idée de choisir la fraise quand on a une si belle occasion de se forger, à coup de marteau, une névrose de poète? (et la mettre ensuite par écrit, et en faire commerce pour un bon bout de temps).
« Des envies de ne croiser âme qui vive… »