métamorphoses

14 février 2013 § Poster un commentaire

 

Quelques mois ont suffi pour transformer le quartier. Le sans-abri toujours pieds nus qu’on appelle Al Dente s’est fait une copine et n’a plus de chien. Il hurle moins souvent, on dirait que l’amour l’apaise. L’offre spéciale du midi de la boulangerie qui fait l’angle, très alléchante, a lentement affaibli l’autre boulangerie, rue Jeanne D’Arc : c’est à peine s’il y a la queue le dimanche, alors qu’avant elle allait jusqu’au Primeur. Parce qu’il est curieusement détrempé, le sucre glace saupoudré sur leurs framboisiers individuels, au lieu de servir de camouflage, révèle aux clients que les fruits étaient surgelés. Pour des raisons qu’on ignore, en un an, le comptoir à bagels n’a jamais séduit les étudiants du quartier ; il a été remplacé par un acheteur d’or, trente-huit euros le gramme. Le pizzaiolo cinquantenaire, lunettes au bout du nez, qui travaillait en écoutant la radio, jouissait d’un espace d’à peine deux mètres carrés et passait ses pizzas par une petite fenêtre à glissière : remplacé par un vendeur de crêpes. Au citron, si c’est du vrai citron j’ai demandé. L’homme m’a fait payer cinquante centimes de moins que le prix affiché. La nouvelle boucherie halal marche dix fois mieux qu’au début, comme quoi il fallait s’acharner un peu. Les voisins bruyants d’en-dessous ? partis, remplacés par un couple avec bébé naissant. Je l’ai su tout de suite en montant ma valise, quand j’ai constaté la disparition de leur affreux paillasson à poupées russes. Dans la cour arrière, il n’y a plus la voisine solitaire qui se faisait bronzer nue à sa fenêtre au moindre rayon de soleil, un livre à la main. Là où il y avait son lit, on voit une table à dîner et quatre chaises. Rien à voir avec l’atmosphère feutrée d’avant. Ils ont taillé les arbres de la cour, c’est violent, ils le font à chaque année, mais je ne m’inquiète plus quand j’aperçois leurs moignons décharnés, depuis le temps j’ai compris : dans un pays où les géraniums ne meurent pas l’hiver, les blessures se referment et les branches repoussent rapidement.

 

 

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