sans trace
16 janvier 2008 § Poster un commentaire
Tard ce soir-là (il y a deux ou trois ans) j’ai marché très longtemps pour rentrer chez moi, j’ai marché sous la neige et fait une sorte de pèlerinage : un long détour dans la tempête et dans la nuit pour passer devant mon ancien appartement, celui qui donnait sur une petite ruelle et que j’ai dû quitter précipitamment pour des raisons bizarres (un fou avait défoncé la vitre de ma porte d’entrée à coups de boîte à fleurs à 3 h du matin, fleurs – verre cassé – terre noire répandus partout sur le plancher de la cuisine, mais personne, je n’avais vu personne, restée cachée derrière la porte de ma chambre à attendre de me faire attaquer, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un bruit sinon celui du vent s’engouffrant par la vitre brisée : quelqu’un, un homme manifestement sous l’emprise d’une grande colère, s’en était pris à mon minuscule territoire !, c’était si peu mais tout ce que j’avais, et je ne pouvais pas donner un visage à cet homme, alors plus jamais je ne me suis sentie chez moi, et j’ai quitté les lieux après m’être acharnée un mois durant à tenter de me réapproprier ces quelques mètres carrés). Tard ce soir-là, disais-je, suis restée quelques minutes à réfléchir sans bruit devant la porte de l’endroit que j’avais dû fuir un an ou deux auparavant. Devant moi des traces de chat dans la neige. On abandonne tant de lieux, d’endroits auxquels on s’identifiait, auxquels on donnait une couleur, qui portaient nos empreintes, puis il n’en reste étrangement presque plus rien après seulement quelques mois d’abandon. J’ai revu aussi cette nuit-là les petits marchés où j’allais, les boutiques. Et c’était la même impression.
Je suis fascinée par les traces qu’on ne laisse pas, qu’on porte seulement en nous, en secret. Il y en a beaucoup. J’ai beaucoup, beaucoup de souvenirs. Il me semble que c’était comme ça déjà quand j’étais toute petite, alors que je ne vivais rien en apparence, et que tout n’était qu’observation (d’ailleurs est-ce vraiment différent aujourd’hui où j’ai le sentiment de vivre des choses ? je prends toujours autant de plaisir et de temps à observer). Des tas de souvenirs, toute petite. Je les conservais soigneusement pour pouvoir les manipuler en secret à mon goût, un peu comme si c’était modelage d’argile.
{lieux habités et désertés sur 4 villes et 17 rues, 16 déménagements, entre 1995 et 2007, mais peu importe}
un green quasi gris
13 janvier 2008 § 3 Commentaires
J’essaie de me souvenir : le plaisir ressenti au jeu de se perdre. Toute petite, avec une amie (elles étaient rares, on ne pouvait pas trop choisir), on traversait le petit bois, puis, l’agaçante obligation de traverser un terrain de golf qui nous paraissait immense pour atteindre la vraie forêt « à Rita Beauchemin ». Me prenait l’idée, cette fois, de nous perdre sur le terrain de golf avant de rejoindre la forêt épaisse. Le jeu : faire semblant d’être égarées dans un désert. Avec très peu de vivres. Quelques biscuits goglu et de la limonade rose, tristes gourmandises de pauvres, et mal assorties. Il n’y avait personne. On y croyait vraiment, on pleurait presque, on gémissait entre deux rires, allongées sur un green rendu gris par l’hiver récent. Et le jeu d’éclater à l’arrivée d’un idiot de fils du propriétaire. Beau lui dire avec conviction que nous étions perdues, il nous demandait de ne pas abîmer le terrain et de quitter les lieux. Magie rompue.
Plus tard, comme tout le monde sans doute, j’allais connaître non plus le jeu, mais la souffrance (est-ce exagéré ? je ne pense pas) de l’égarement. La première fois, la douleur d’être perdue dans l’autre, fille ou femme ou homme, la conscience de ne tenir qu’à un fil, et de ne pas avoir de mère. Un peu plus tard, le sentiment de perdre la tête. Puis, tête retrouvée à force de travail et d’acharnement un peu au hasard, c’est au tour du passé et de l’identité. Les perdre pour les refondre : nouvel alliage, nouvelle volonté peut-être. Et le caractère, lui, tenant toujours. Le caractère est peut-être une main de marionnettiste. La main tient tous les fils et m’articule. Sans elle : un tas de chiffon, plus de mots et puis plus rien.
(À Mo K)
Misères
12 juin 2007 § 1 commentaire
J’ai trempé mes mains dans de l’huile sombre, puante, et les ai égratignées à la laine d’acier. Écrasé des centaines de nids de fourmis sans savoir. J’ai couru jusqu’au bois, à la noireté. Puis sans *** sur les trottoirs chics.
J’ai astiqué les livres, les ai emballés au cellophane, caressés, lus, déballés, reçus, retournés, détestés, ignorés, dévorés, envoyés. Résumés. Critiqués. Pour des dames ou des messieurs. Pour trois fois rien. Pour des misères.
J’ai éternué avec grâce.
J’ai hébergé une fois mademoiselle Lili. J’ai dû faire adopter Nana. J’ai fait pousser des herbes hautes. Quatorze fois j’ai cherché ma maison. J’ai pleuré dans les institutions financières et les couloirs souterrains du savoir. J’ai fait mourir nombre d’espoirs dans la métropole. Il a fait très chaud, et très froid. Il a fait bon au coin du feu.
Je n’ai pas appris la deuxième langue.
Je traverse l’Atlantique à la nage. Non. À la petite cuillère.
Je cherche une forêt. Une raison.
Le malheur de la pauvreté:
18 avril 2007 § 2 Commentaires
La poésie. Maintenant qu’on habite en elle, en la ***, peut-être faudrait-il laisser couler, cesser de lutter, ne plus être contre elle, mais à même elle.
Et puis il s’agit de folie. On a toujours été à deux doigts d’elle aussi. Elle nous regarde du fond de la salle, appuyée contre le mur, dans un bar enfumé; elle était déjà là à nous guetter, dès les premiers gestes libres, à la naissance des seins. Maintenant qu’on est déracinés, elle nous observe cette fois appuyée contre la pierre d’un coude de la rue ***, dans ses habits échancrés et criards. Elle menace la beauté simple et délicate de cet ***.
Utilités
2 avril 2007 § 1 commentaire