frencher l'orignal
8 septembre 2008 § 3 Commentaires
(Cette fois je n’aborderai pas des questions politiques. Ce qui se prépare est trop navrant, et même pour ceux qui regardent de loin.)
Un soir, récemment, un “dîner” par accident (j’oserais dire par erreur ?) chez d’authentiques gosses de riche parisiens. (D’entrée de jeu il faut précisier que par ici, l’heure à laquelle vous êtes conviés est proportionnelle à la “situation” de vos hôtes. Autrement dit, nous étions invités à venir manger après 21 h.) Des gosses parmi ceux qui camouflent leur sens inné de la hiérarchie sous une apparence de bohème, de ceux qui peuvent se permettre de vous recevoir pieds nus avec des vins de plus de vingt ans d’âge (un grand-père qu’ils n’ont pas connu était millionnaire). Ils habitent une cour bruyante, laquelle abrite d’autres “artistes” de même acabit, célèbres dessinateurs aux pions judicieusement positionnés sur l’échiquier parisien, écrivaillons à la mords-moi le nœud, etc. Une soirée sidérante. Je ne m’en remets pas. (J’exagère un peu.) C’est donc là que se cachent les imposteurs. Tous dans une cour du onzième, dans un quartier faussement pauvre, à mille lieues (on dirait) des bohémiens qui ne font pas exprès, qui peuplent le ghetto de Château Rouge ou de Belleville.
Ces philosophes vous assènent leurs vérités truffées de lieux communs. Ils vous parleront de la fin de l’intériorité en levant le poing et le menton, fin qu’ils observent par simple processus de projection. Peut-être n’ont-ils pas tort, mais force est de constater que leur vie, en effet, évacue toute possibilité de mise en valeur de cette intériorité. Celle-ci est bien morte pour eux parce qu’ils peuvent se permettre d’oublier qu’elle existe, fort occupés qu’ils sont par l’enveloppe extérieure de toutes choses. Je n’ai jamais vu des jeunes gens être aussi dupes de leur propre superficialité. Ils camouflent leurs électroménagers en stainless derrière des rideaux en tissu, en s’inquiétant du bilan carbone du poêle à bois allemand dont ils s’apprêtent à faire l’acquisition.
Et ces jeunes gens propriétaires d’un appartement valant plus d’un demi-million d’euros tombent des nues (presque de leur chaise) lorsqu’ils apprennent que les Québécois ne parlent pas tous parfaitement anglais. (Et si la question a été abordée c’est bien parce qu’ils l’ont cherché en me harponnant au détour d’une conversation pendant laquelle je restais obstinément silencieuse.) Ils ne comprennent pas que le fait de pouvoir vivre en français puisse être, quelque part sur la planète où règne le maringouin, un privilège, déjà, et ensuite, durement acquis (s’il l’est). Quand je parle de survie francophone en Amérique loin d’être assurée, on a envie de me répondre “mais parlez donc tous anglais puis cessez de vous plaindre, putain” ***, on se contente de me rétorquer que j’oublie scandaleusement les Antilles ! Oh pardon, excusez-moi d’oublier vos départements où il fait bon aller siroter votre ti-punch une fois l’an… C’est parce que, bon, je vous parle d’une île d’un million sept cent mille kilomètres carrés que vous refusez de voir (si l’on oublie les traîneaux à chien et le sirop d’érable) sans doute parce qu’elle signifie quelque part votre défaite. Excusez-moi si je vous dérange…
Encore une fois. On est ici difficilement curieux de ce qu’on ne connaît pas. On me questionne mais on s’empresse de contredire ou de débattre pour prouver aux convives qu’on y connaît sacrément quelque chose. Questionner, apprendre, c’est un peu chez eux s’abaisser en s’avouant ignorant. Je ne dis pas que l’absence de débat est préférable, et je ne dis pas que mes connaissances ou opinions concernant la belle province valent de l’or (mes origines moins que modestes les colorent d’une façon qui n’est sans doute pas la meilleure). Mais il ne faudrait pas toujours que gentillesse ou curiosité riment avec stupidité. Les soirées, ici, pour faire joli, se terminent au milieu de la nuit, et elles sont épuisantes. Ce sont des heures de concours et d’examen, où règnent le “enfin” et le “voilà” (vous les enlevez et il ne reste qu’un squelette de conversation tout maigre qu’il serait aisé de résumer). Le plaisir est de détrôner Claude Lévi-Strauss pour provoquer, d’élever aux nues une fois de plus Deleuze et Derrida. Vous vous réveillez inévitablement le lendemain avec un de ces maux de bloc… Et la forêt vous manque en ostie. Vous auriez même envie de frencher un orignal.
*** C’est vrai, après tout, pourquoi pas? On n’y a jamais songé.
Il m’est arrivé, dans ma folle jeunesse (entendre : avant que j’aie des enfants), de supporter des insupportables lors de soirées où l’on ose pas trop faire d’esclandre parce qu’on veut y être conviés à nouveau, parce qu’on arrive en ville et qu’on n’a déjà pas trop d’amis comme ça. Je me souviens comme si c’était hier de m’être frité avec des étudiants en philosphie qui se plaisaient à crosser des mouches; je regrette aujourd’hui de ne pas avoir été plus méchant, plus injurieux. Maintenant que je n’ai plus de temps à perdre (entendre : depuis que j’ai des enfants), j’espère avoir le courage de dire à de tels embrenneurs (et c’est un courage que je te souhaite d’avoir tiens) que je leur pisse à la raie (ce que c’est vulgaire (j’aime)).
C’est vrai, pour le moment je préfère ne pas faire d’esclandre. Cela dit je ne retournerai jamais là-bas.
Comment on se sent, à deux jours de la fin du monde?
La fin du monde, on essaie juste de ne pas y penser. Après tout, il y a plus de chances que je me fasse frapper par une voiture en sortant du bureau, que je sois victime d’un accident de métro ou même que je me fasse aplatir par un débris d’avion ou un météorite.