silhouette 457
25 février 2008 § Poster un commentaire
Tout homme porte une chambre en lui. C’est un fait qui peut même se vérifier à l’oreille. Quand un homme marche vite et que l’on écoute attentivement, la nuit peut-être, tout étant silencieux alentour, on entend par exemple le brimbalement d’une glace qui n’est pas bien fixée au mur. (Kafka)
Ou encore le bruit d’un lit qui craque sous les tourments et retournements. Il y en a pour qui c’est une chambre absolument nue ; ces hommes-ci font un bruit de trou noir, ou de vacuité. Sur leur passage, ce n’est pas un silence, c’est encore moins, c’est un ravalement d’air. Pas un bibelot ne traîne ici, pas un souvenir, pas même un sous-vêtement oublié en boule sur le plancher, ou un mouchoir usé. Rien. Quand la mémoire voudrait faire entrer quelque objet dans cette chambre, babiole ou trésor, ça rebondit comme sur le plastique d’une paroi bombée. Avec eux la mémoire doit ruser, suivre le tracé de mille chemins, mille détours. Alors peut-être seulement, on retrouvera une icônette épinglée sur une porte de placard, mais elle demeurera illisible pour l’étranger de passage, même si le séjour devait se prolonger. L’image épinglée, au mieux, sera floue, jusqu’à son effacement : conclusion d’une brève lutte contre la bile noire.
À l’opposé, il y a ceux qui ont beau marcher lentement, tout un vacarme sur leur passage nocturne. Les encombrés, comme on les appelle, ceux dont les visiteurs devront patiemment se frayer un chemin jusqu’au fauteuil poussiéreux et devoir se contenter d’un repos de quelques minutes. La mémoire de l’encombré est tant débordée qu’à toutes les demi-secondes il s’agit de chasser un souvenir pour laisser la place au petit dernier. Une cacophonie d’objets tournoyants, dans cette chambre, fait lever la poussière et déplacer la tristesse qui doit, chaque seconde du matin au soir, ou du soir au matin, se poser ailleurs, puis ailleurs, puis ailleurs. Ceux qui portent en eux ce fourbi ont sur l’épaule toute une planète. Et pour danser ils doivent être sorciers ou jongleurs.