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8 mai 2008 § Poster un commentaire
Un appel monte du fleuve. (Kafka)
Mais c’est un fleuve de caoutchouc. Non, de pellicule plastique chiffonnée comme dans les animations des années soixante-dix, ou la tempête sur la mer en sacs poubelle noirs du Casanova. Faut-il y répondre ? Faut-il y boire ?
Dire oui au fleuve ce serait tout laisser derrière. Ce serait mettre fin au bruit d’ici. Ne plus entendre les sirènes du premier mercredi du mois. Ne plus jamais faire le portrait de la dame laide au lion, la vieille femme du Jardin des riches. Ne plus lire les frasques du nain. Oublier le masque. Oublier la poupée de Kokoschka. Répondre à l’appel ce serait se pencher au-dessus de l’immense flaque vert-marron, pour réaliser que rien ne s’y mire plus, à l’exception des carcasses de bâtiments oxydés. « Rejoins-nous au cimetière de bateaux ! » qu’ils disaient après l’école. On n’avait que de la ferraille et de la poussière de rouille pour tout environnement ludique. De vieux motards, Anges des Enfers, se cachaient peut-être dans les coins. Et c’était le comble de l’excitation : on disait qu’ils enlevaient parfois les enfants.
Répondre à l’appel ce serait constater que je n’y suis plus, m’égarer dans mon absence. Retrouver gaiement les traces d’un rien qui s’éternisait, qui traînait en longueur. L’été était synonyme de mois qui refusent de passer, d’immobilisme, de suspension forcée de l’illusion qu’on avance, suspension de ce qui nous tient éveillé : la possibilité d’une fuite. L’été : le contraire d’une échappée. L’absence de livres. L’humidité, le travail crasse et suffocant, l’oubli forcé des alternatives, la rencontre d’ignorants gueulards impossible à éviter, l’omniprésence d’une femme mise en échec par un secret, les amitiés inaccessibles.
Un appel monte du fleuve. L’appel des origines. Pour cette fois ce sera la sourde oreille.