l'ilôt de personne
13 octobre 2008 § 2 Commentaires
Il y a deux semaines je ressentais une fois de plus mon petit exil (je dis “petit” parce que je ne suis que chez les cousins) comme un grand vide. Pour avoir changé de villes plusieurs fois dans mon propre pays, il m’était déjà arrivé d’expérimenter une impression semblable, mais de bien moins grande ampleur.
J’étais à la bibliothèque quand le grand vertige m’a littéralement submergée. J’ai décidé, suite aux recommandations de MoK, et pour prendre une pause dans mon travail, de consulter le livre de Nancy Huston, L’Espèce fabulatrice, en faisant venir électroniquement l’ouvrage jusqu’à ma place réservée. Je l’ai parcouru avec avidité. Je m’étais déjà sentie des accointances avec elle, disons au moins en ce qui a trait à l’expérience d’exil, en lisant ses lettres à Leïla Sebbar (toujours sous les bons conseils de MoK). Il me semblait que consulter un de ses livres allait calmer mon vertige. J’ai aussi fait un bref pèlerinage dans la section des ouvrages québécois, comme pour me rassurer sur l’existence de l’ilôt identitaire qui m’a vu naître, vaguement, dans un minuscule patelin, en fille de bobineur de moteurs électriques (?). J’ai trouvé mon pays dans cette section intitulée :
littératures francophones
afr84 à be84
afr84| Afrique
ame84| Amérique
asi84| Asie du Sud-Est, Polynésie
be84| Belgique
ame84| Amérique
J’ai ouvert quelques livres (Langevin, Ferron, Blais, Nicole Brossard…) en lisant des passages au hasard, à la recherche d’une réponse à mon sentiment, ou ne serait-ce que d’une impression de dialogue avec des frères et sœurs. Mes doigts se sont laissé tenter, entre autres, et je ne saurais vraiment dire pourquoi, par L’Allié de personne, ce bouquin réunissant des articles critiques de l’étonnant solitaire Robert Lévesque. En le feuilletant je suis tombée sur la critique d’une pièce à laquelle j’avais pu assister* à Montréal en 2000, je crois, Les Chaises de Ionesco avec ces monuments de Gérard Poirier et Hélène Loiselle. Aussitôt je me suis trouvée transportée dans la métropole, connectée mentalement à mon ilôt, en voyage éclair.
Le lendemain dans la même salle de lecture il se passait cette chose étrange. À quelques mètres de moi j’aperçois une silhouette discrète, qui me semblait un peu fragile tout en étant très affirmée. J’ai l’impression qu’il s’agit de Nancy Huston et j’en ris intérieurement, me disant “Oh ! ça ne va pas, si le sentiment de solitude provoque chez toi des hallucinations ridicules…” Pourtant il s’agissait bel et bien de l’auteure. Il y a de nombreuses salles dans cette immense bibliothèque. Pourtant la veille je lisais son livre au même endroit. J’ai eu envie de lui écrire un mot, que j’aurais laissé sur son bureau. Je me suis ravisée, me disant qu’à sa place je souhaiterais sans doute travailler dans l’anonymat, ou au moins en avoir l’illusion. Et puis j’ai pensé à ses lettres sur l’exil écrites il y a plus de vingt ans. Peut-être n’a-t-elle plus du tout aujourd’hui le même sentiment vis-à-vis de cette terre d’accueil que nous avons en commun.
Il reste que j’ai trouvé dans cette “rencontre” sans paroles ni échange quelque chose de rassurant, que je ne pourrais pas expliquer, et que je souhaitais partager **.
* avec qui?, à quelle occasion?, je ne sais plus, comme si j’avais rêvé
** au moins avec MoK
Wow ! Quelle histoire !
Il paraît que Nancy Huston est une personne un peu froide, et peut-être que tu as pris la bonne décision, après tout. J’aurais été très intimidée, à ta place.
Et alors, ton vertige ? Ce livre, moi, je l’ai trouvé assez rassérénant, parce qu’il permet de relativiser absolument tout (puisque tout est fiction). Je prévois d’ailleurs en faire lire un extrait à mes élèves dans deux semaines.
C’est drôle, cette histoire de théâtre montréalais. Moi qui regrette parfois un peu mon « exil » de Québec, surtout depuis que j’ai des enfants, car il me semble que ce serait tellement plus simple, plus sain de les élever là-bas, moi qui cherche donc à me convaincre d’avoir pris la bonne décision, je me rabats sur le théâtre pour m’en convaincre : nous sommes abonnés au Théâtre d’aujourd’hui, j’ai acheté des billets pour deux pièces de la Maison théâtre avec mon fils et je me promets quelques autres pièces au TNM et à l’Espace Go.
Même si tu ne me fais pas de suggestion directe, je t’en emprunte une, sans permission, celle des critiques de Robert Lévesque, que j’ai envie de lire depuis quelque temps déjà.
Je te réponds vraiment tardivement, désolée… (Au point que mon commentaire t’échappera sans doute…) Pourtant je n’ai pas de gamins, et surtout j’ai vraiment pris plaisir à te lire, mais bon, j’étais dans une sorte de tempête…
Le vertige vient et repart à répétitions en ce moment. Il y a trop longtemps que j’ai quitté la ville, je crois. Il y a des signes qui ne trompent pas.
Pour la suggestion, je ne sais pas si tu connais déjà, mais j’ai mis la main sur les Récits bariolés de Lévesque, publiés aussi chez Boréal, plutôt sur la littérature que le théâtre (en fait ce sont ses textes publiés dans Ici), et je me délecte. Je ne suis pas toujours d’accord avec lui, il a de drôles d’obsessions, mais j’aime beaucoup sa plume. J’espère qu’il retrouvera bientôt une tribune. À moins que ça ne soit déjà fait.