fixer l’invisible

1 septembre 2015 § Poster un commentaire

 

« Je dis que le métier de poupée est sans doute le plus ancien métier du monde et cela nous ramène irrésistiblement vers l’histoire et les hommes. Poppée, mère éponyme des « poupées » et dont j’imagine assez bien qu’elle se devait d’avoir une taille de cristal, doit sourire d’être le point de centration de tant de divagations dont très peu la concernent. Il n’empêche : elle est le lieu focal du rêve, que celui-ci la précède ou la suive. (…) Les poupées sont ainsi faites qu’elles mettent – si du moins nous les réduisons à leur seule dimension humaine – bien du sang dans les vérités des hommes et bien du sens dans leurs légendes. Si l’on consent à se satisfaire d’une seul exemple, ce serait celui de la sublime Troyenne d’adoption, prise elle aussi au fil des mythologies, dans les tours et détours de bien d’autres, énigmatiques, de ses sœurs. Toutes ces Hélènes, je les vois pourtant comme des proies faciles et fraîches. Elles ne sont, sur l’écran de la mémoire et comme au cinéma, que les grands et purs modèles de tant d’aimées saisies par les incertitudes de l’être, lequel est, au niveau où nous nous situons, ce qui n’est pas. Toutes celles-là dont je parle n’ont donc pas de rapport avec l’Absolu si même il advient qu’il se ressource en elles pour réactiver en nous sa nostalgie. Mais, et quoi qu’il en semble, leur destin est finalement comme si elles étaient privées de destin. C’est la poésie, et elle seule, qui les sauve. Elle seule qui les fait venir à nous, sorties du terrible anonymat de l’Histoire, qui n’est tout compte fait qu’un annuaire. Elle seule qui leur donne un reflet tremblant et changeant comme celui du feu brutal d’une cheminée mettant son rougeoiement dans leurs cheveux ou sur la chair savoureuse de leur cou. Ô magnifiées ! comment sans vous l’on pourrait vivre, mais aussi bien comment, avec vous, ne pas consentir à mourir ? Il n’est de relation d’incorruptibilité qu’avec l’Absolu qui, lui, se regarde dans les yeux. C’est pourquoi la plus significative des poupées, quand elle ne ferme pas pour dormir ses yeux de splendide matière, fixe avec tant de détermination l’invisible. »

Salah Stétié, Mystère et mélancolie de la poupée, Fata Morgana, 2009

 

 

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