urgence
18 juin 2015 § Poster un commentaire
Tous les matins il hésitait entre l’escalier et l’ascenseur. Du coin de l’œil il pouvait voir les plans d’issues de secours, en regrettant de n’avoir jamais eu à les emprunter. Jamais, jamais il n’y avait eu d’urgence.
miettes
6 août 2013 § Poster un commentaire
Il lui avait offert son carnet de notes de voyage, un grand cahier peu épais. Ce qu’on trouvait à l’intérieur n’était pas très beau : du papier quadrillé grossier sur lequel s’étendait une écriture bizarre. Peu de mots mais qui s’étiraient du haut jusqu’en bas de chacune des pages plutôt que de gauche à droite, formant des paragraphes quasi illisibles tout en étant soignés, on aurait dit des visages anguleux de vieillards devenus de plus en plus longs avec l’âge. Le résultat résumait bien le personnage qui en était l’auteur : il prenait un maximum d’espace en offrant, sous des apparences de débordement trompeuses, très peu de lui-même. En vérité que des miettes.
portrait d'os
17 juin 2008 § 1 commentaire
On sent toute la maigreur de la jeune saltimbanque. Quelques lignes suffisent pour exprimer le désordre de sa chevelure abondante et un peu raide. Les mains sont toujours plus importantes que l’épaule ou la joue. Le mouvement de l’articulation du poignet révèle le geste au bouton du vêtement. Les côtes visibles dans le dos ou sous les seins d’enfant soulignent la pauvreté. Les coudes en saillie. Un creux derrière l’omoplate révélée par le déhanchement naturel. Un ventre d’affamée gonflé par un grand nombre de déserts. Une soumission qui n’est pas innocente. Une soumission qui brille d’intelligence. La pose est pour manger demain. Le déhanchement pour servir. Le menton penché sur la poitrine pour la concentration. C’est avant la pose que l’homme aux crayons comprend son sujet. Déjà. On devine des pieds d’enfant par ces quelques traits au bas de la jupe. Nudité sèche. Beauté de l’os.
(sur un croquis de Kokoschka)
image 1
28 février 2008 § Poster un commentaire
Au sommet, la boucle, et les perles, dans la torsade d’or. Combien de perles, du hasard, éparpillées, parmi d’autres boucles, et le fruit, tout à la droite, suspendu, un peu plus loin de la nuque, le fruit, bien au-dessus de l’arbre, bien rouge, sang, et derrière elle. Ce fruit ne fut pas, mais se contenta d’être suspendu, de ce temps de vie. Nuages clairs, d’avant la fin, mais sans promesses. Et de cette chaînette, entrant et sortant de la torsade, parmi les perles, comme pour tout en retenir, maintenir l’abondance fragile, vouloir préserver mais en vain de la chute toute cette abondance, la lui faire éviter, et laisser libre le visage, le laisser mieux lire la fin. De ce temps d’avant, le bouquet généreux, mais sombre, de révélateurs mystérieux, chuchotis. Sous lui, peut-être derrière, la chaleur d’une bête, loup, ce que cache la terre lisse et presque dorée, ou les broussailles ?
Elle est telle. Et devant elle l’arbre décharné, cette fois-ci, et qui se tend vers les lèvres nouvelles, d’un mouvement de grâce. La fin cherche à joindre le début.
Le long cou laissant l’épaule sans forme, l’ombre de l’épaule dans l’étoffe, trésors dissimulés, un creux pouvant laisser échapper la bête qui n’est que queue noire à deux bouts, la langue, puis l’extrémité, tendent, l’un vers l’autre comme l’arbre décharné cherche la bouche. L’étoffe et la terre lisse, une terre pauvre ou un sable fécond.
Et pourquoi l’ombre de la queue de la bête sur la peau encore intacte ? D’où vient la lumière qui n’éclaire que le buste immaculé ?, le nacre encore prisonnier, mais qu’à demi, de l’étoffe ? Émane-t-elle du corps ? Elle tombe d’au-dessus de lui, et les plis, deux, sous le bras deviné, mais dont la suite, sous le tissu, pourrait ne jamais se terminer.
Pourquoi pas l’écume comme du lait. Répandue sur la terre lisse, une pointe tendue vers le rayonnant, l’autre pour l’oeil seul, toute à lui, à l’oeil, l’arrondi s’est dressé, sans secousse.
Rayures sur l’étoffe, quadrillés de losanges, petites croix, tissu rappelant la cheminée, l’intérieur, le secret, couleurs de terre, de chair, et le vert forêt. Que se peut-il dessous, après ? des bêtes ailées ? Comment ne pas voir, sur le menton, la fin de l’arbre dessinée, et la lèvre inférieure, comment ne pas la voir éviter de se fendre ?
Sommes-nous seuls avec elle ? et le ciel noir ? Y voit-on réellement quelque chose ? Et la mer obscure, et ses vapeurs. Le nez dessiné, le masque laiteux, devant le sombre, flou, l’informe, et l’oreille en retrait, dessous la chevelure morte, mais en lumière.
Elle n’entend pas. L’oreille. Et le visage est moins clair, peut-être parce qu’il sait.
Elle est telle, que son oeil n’ignore rien de ce qu’elle a été engoufrée, et sa tête tient, sur le long cou, pour ne pas rouler de crainte, l’oeil ouvert, affirme, croit, connaît ce que le sol ignore, ce que la lise ingère d’un trait.
Et l’oeil toujours, appuie, s’applique, salue dignement. Sans s’incliner.
Perroquet sur l'avenue
6 juin 2007 § 1 commentaire
Puis il y eut ce matin-là où j’étais encore une fois en retard. Nous étions quelques uns à attendre impatiemment le car, à en voir des mirages. Un homme, un peu plus loin, arrosait son perroquet. On suffoquait, tous en moiteur, à l’exception de la bête verte, idiote, juchée sur le bras de l’homme très chic sur l’avenue, marchand de tapis. Il vaporisait de l’eau fraîche en petits jets un peu partout sur l’animal comme il aurait caressé sa maîtresse. Aussi je m’approchai et lui demandai de m’asperger, un peu. Il hésita, puis me répondit, soulagé: voilà votre autobus. J’insistai, devant ce corps étrange. Il était très large, avait les joues pleines, les mains fines, des yeux rieurs mais qui n’ont simplement pas l’habitude.
Je m'appelle Hermine
29 mai 2007 § Poster un commentaire
… et je m’amuse à façonner la muse du peintre. Le résultat sera pour le moins étonnant. Peut-être effrayant. La muse de chiffon finira dans le jardin pendant la fête, sur sa tête de peluche une bouteille fracassée. Elle aura déçu le désir du maître malgré son parfait silence.
Étrange Kokoschka.