cette crasse portée encore
13 mars 2009 § 5 Commentaires
J’écris ce texte alors que je suis installée (encore) dans le paisible rez-de-jardin de la bibliothèque*, pour un instant la musique du dernier disque de Louise Forestier dans les oreilles. Écouter ce disque ici me plonge dans mille émotions contradictoires. D’abord j’ai beau trouver les paroles de certaines chansons médiocres (j’écoute seulement sept chansons sur onze, jamais jamais ! la première), voilà c’est dit, j’aime ce disque. C’est plus fort que moi. Peut-être parce qu’il me rappelle mon dernier vol effectué en solitaire, en partance pour Montréal l’automne dernier. Sans être convaincue, impatiente au-dessus de l’Atlantique, je zappais les disques au hasard sur le siège devant moi. La chanson “Loin d’ici” s’était mise à se déployer dans mes oreilles, et aussitôt me gagnait le sentiment de retrouvailles, le sentiment de voler droit vers mon amie Françoise**, amie c’est peu dire, âme sœur, par ailleurs féministe engagée – sans être enragée, et qui ne connaît pas ce lieu, faute d’être “branchée”. Cette chanson était un pont qui me menait vers elle et vers moi. Et je retrouve cette émotion à chacune de mes écoutes – parcimonieuses, réservées aux trajets de RER vers la Maison de la radio, aux marches nocturnes vers le 4e étage, aux longs itinéraires de métro – ligne 4 et ligne 14.
Oui je sais vous le savez, au fil de mon acclimatation j’expérimente des sensations inattendues, comme de drôles de bouffées émotives très intenses mais floues, mal localisées, qu’on dirait liées à la misère de mes ancêtres, à la mienne d’il y a quelques années, celle de mes parents (qui ne s’adressent plus la parole depuis l’an 2005, ma mère s’étant révoltée à l’âge de soixante-quatre ans, convaincue après plus de trente ans de loyaux services serviles qu’il valait encore mieux s’y prendre tard que mourir). À la seule pensée du pays perdu j’ai parfois l’amour triste (oui, oui), qui déborde au point de se transformer en petites larmes, presque invisibles, sans que je sache très bien à quoi elles sont dues.
*En pile à mes côtés, mes amis, mes frères et soeurs secrets, que je ne connais pas assez: Saint-Denys Garneau, Blais, Godbout, Aquin (pour les jours tristes). Parfois je ne les consulte pas. Ils ne font que m’accompagner. C’est déjà beaucoup.
**Françoise, la première, sans le savoir, à m’avoir fait croire qu’un ailleurs était possible, à force de nuits de discussions dans un sous-sol crasseux d’une ville tout aussi crasseuse.
vitrine et autres tuiles
24 février 2009 § Poster un commentaire
J’ai bien essayé de rester calme mais.
Tous les matins en arrivant à la bibliothèque, je lis Le Devoir presque en entier grâce à mon abonnement au format pdf – on dirait une pub, hein – que je télécharge au petit matin tandis que le Québec est encore plongé dans son sommeil paradoxal. (Parce que Le Devoir est introuvable en France. On peut le consulter sur papier à la Bibliothèque nationale avec une semaine de retard. Sinon rien. Même la Librairie du Québec* ne le tient plus. Pourtant il faut voir tous les quotidiens étrangers qu’on retrouve aux kiosques à journaux, et dans toutes les médiathèques de la ville – deux ou trois médiathèques par arrondissement… de quoi halluciner.) Les nouvelles lues me consternent très souvent, et certains matins comme aujourd’hui, elles me désolent et me révoltent à un point… Quel gâchis que ces gouvernements… Mais que se passe-t-il donc ? Peut-être que je perds de vue certains périodiques engagés, mais il me semble que presque personne ne monte aux barricades. Est-ce que je me trompe ? Montréal n’est plus qu’un gigantesque nid-de-poule. Les libéraux fédéraux laissent passer des réformes conservatrices totalement inacceptables – croyant sauver leur peau en risquant celle de toute une population. Les souverainistes n’ont jamais été si lâches, si raplapla, et la souveraineté si hors propos, voire hors-champ. Les radio-poubelles vont bon train. Le rayonnement des artistes canadiens à l’étranger est plus que compromis : il est déjà sous la guillotine. La culture est devenue une blague (d’ailleurs le nouveau site Web de Radio-Canada annonce maintenant une section “divertissements” en remplacement de la section culturelle, qu’ils étaient incapables de rendre dynamique, ça, on leur accorde)… Il me semble que cela en dit long. Je me trompe ou bien tout dégringole à une vitesse folle ? Je me demande toujours si mes impressions s’accentuent anormalement compte tenu de mon exil, ou si mes impressions sont justes.
*Pardonnez-moi mais quel endroit sinistre et sans âme… Un éclairage aux néons avec plafond à tuiles suspendu qui me rappelle les tristes locaux de mariage du palais de justice de Québec… Bien sûr ils ont peu de moyens (et je salue leur courage je vous assure ! défendre la littérature québécoise chez les Parisiens – provincialissime à leurs yeux, sauf exception – est plus qu’héroïque), mais ce peu de moyens, entre autres, est inacceptable. C’est un lieu de diffusion plus important qu’on ne pourrait le croire : la seule vitrine vouée à la littérature québécoise en sol européen. Malheureusement, faute d’investissements des gouvernements dans cette petite infrastructure (enfin c’est ce que je déduis – dites-moi si je me trompe, et puis c’est peut-être le choix du propriétaire), les livres sont vraiment trop chers. Combien de Parisiens paieront quinze euros pour un format poche ? un exemple : Neige noire d’Aquin en poche (BQ) : 17 euros 50, c’est-à-dire environ 28 dollars ! Bien sûr, les coûts de transport… Mais. Est-ce normal pour une vitrine de cette importance ? On me dira : encore heureux, ce lieu existe, et on pourrait se demander pour encore combien de temps. Mais pourquoi toujours se contenter de peu ? Y a-t-il un médecin dans la salle ? Une vitrine terne et trop chère est presque un coup d’épée dans l’eau… non ? Mais tout cela n’est qu’un symptôme bien sûr. Je vous redemande pardon.
Je suis toujours dans mon refuge appelé BnF. Allez, une fois de plus cette parenthèse dans ma journée : je vais consulter quelques bouquins de la section “Auteurs américains d’expression française”, me recoltiner aux colères de mes compatriotes, histoire de me remonter…
Qu’est-ce que nous sommes bernés !
Mais je n’en parle plus, promis.
station châtelet
19 février 2009 § 4 Commentaires
Station Châtelet, heure de pointe (c’est-à-dire 18h30), pour rentrer chez moi je descendais vers la ligne 14 au milieu d’une marée humaine. En travers d’un grand couloir, par dizaines ou par centaines ils fonçaient, les humains, à ma gauche, à ma droite, direction inverse de la mienne. Une musique un peu tordue dans les oreilles j’ai eu cette drôle d’impression, comme un souvenir : ce courant dense et rapide me rappelait ces trajets en voiture la nuit en pleine neige abondante, l’illusion d’optique créée par les flocons illuminés par les phares, fonçant vers la voiture. Ou alors je me suis revue traverser l’autoroute Dufferin à pied, tard le soir en hiver, poussée par le vent, avançant moi-même comme un flocon parmi les autres.
La semaine dernière j’apprenais que ma vie allait basculer (non pas grâce à la naissance d’un enfant mais à celle d’un roman). Après quelques jours d’euphorie, et même pendant ces quelques jours, les questionnements et doutes fusent. Parmi ceux-ci : publier en France est-il un acte de trahison ? Nul doute, il y a une contradiction* : d’une part je voudrais contribuer à ma modeste mesure, de l’autre je déserte un peu, en tout cas pour encore quelques années. Mais enfin s’il y a des contradictions, certains sentiments se renforcent. Je ne me suis jamais sentie si près du pays que j’ai quitté que depuis que je l’ai quitté (passion amoureuse…?), et je ne pourrai jamais renier mes origines. Elles façonnent ce que j’ai à dire et ma façon de le dire. Venir à Paris c’est avant tout avoir choisi quelqu’un, et c’est surtout profiter de l’abondance (pour rappeler la boulimie d’Hubert Aquin dans ses années parisiennes). Tout ce savoir accessible, ce temps qui ne s’étire pas de la même façon, la valeur accordée à la culture. Tout cela à glisser dans un sac à malices en attendant la suite… Cette abondance ne m’empêche pas de souffrir régulièrement au constat du gouffre d’ignorance se creusant entre la France et le Québec.
* Mon prochain projet tentera d’aborder ces contradictions. Enfin c’est ce que je souhaite. Par les temps qui courent je me plonge (avec délice et douleur) dans des lectures québécoises à la bibliothèque. Je me crée une bulle boréale au milieu de Paris.
le rien qui foisonne
29 janvier 2009 § 1 commentaire
Jour de grève générale. Mon imagination ? il y avait une sorte de fébrilité dans l’air, hier soir. On aurait dit la veille d’une grande fête. Cet après-midi tous les mécontents iront dans la rue. À Paris ça fait beaucoup. À Paris le mécontentement prend des allures de fête.
Un regard sur mon bureau. Je travaille entourée (cernée ?) de souvenirs. J’ai parfois l’impression qu’ils me guettent. Je me répète un peu, sans doute. Mes rêves sont peuplés de fantômes à cheval sur deux pays. J’y formule souvent ce que je regrette de n’avoir jamais dit, ou ce qu’il ne m’a pas été permis de dire. Une manière un peu factice de rattraper certaines erreurs, factice mais qui allège.
À la bibliothèque, hier, je relisais “Un homme qui dort” de Perec. J’aime bien ce livre où “il ne se passe rien”, où le rien est en vérité si foisonnant. Il m’est arrivé, libraire à Québec (je devais avoir vingt-trois ou vingt-quatre ans), d’avoir été débordée de dossiers, le dos rond, assise dans un bureau sans fenêtre, et de me sentir malhabile sous la pression. Comme antidote à ce poison j’avais trouvé cette petite carte-citation de Perec, avec sa bouille fort rigolote, fort échevelée : “Il ne se passe rien, en somme.” Chaque fois que ça chauffait sous le capot, je jetais un œil sur la carte-citation et je m’envolais, légère comme une plume, au-dessus de ces dossiers au fond tellement dérisoires. Je ne savais pas qu’un jour il y aurait autrement plus de pression, et que cette petite citation n’allait pas disparaître de ma mémoire.
Je me souviens aussi d’avoir voulu convaincre ma mère, petite, que le rien, au fond, n’existe pas. Malheureusement j’ai oublié quels étaient mes arguments. Par contre je me souviens de l’expression paniquée de ma mère.
l'ilôt de personne
13 octobre 2008 § 2 Commentaires
Il y a deux semaines je ressentais une fois de plus mon petit exil (je dis “petit” parce que je ne suis que chez les cousins) comme un grand vide. Pour avoir changé de villes plusieurs fois dans mon propre pays, il m’était déjà arrivé d’expérimenter une impression semblable, mais de bien moins grande ampleur.
J’étais à la bibliothèque quand le grand vertige m’a littéralement submergée. J’ai décidé, suite aux recommandations de MoK, et pour prendre une pause dans mon travail, de consulter le livre de Nancy Huston, L’Espèce fabulatrice, en faisant venir électroniquement l’ouvrage jusqu’à ma place réservée. Je l’ai parcouru avec avidité. Je m’étais déjà sentie des accointances avec elle, disons au moins en ce qui a trait à l’expérience d’exil, en lisant ses lettres à Leïla Sebbar (toujours sous les bons conseils de MoK). Il me semblait que consulter un de ses livres allait calmer mon vertige. J’ai aussi fait un bref pèlerinage dans la section des ouvrages québécois, comme pour me rassurer sur l’existence de l’ilôt identitaire qui m’a vu naître, vaguement, dans un minuscule patelin, en fille de bobineur de moteurs électriques (?). J’ai trouvé mon pays dans cette section intitulée :
littératures francophones
afr84 à be84
afr84| Afrique
ame84| Amérique
asi84| Asie du Sud-Est, Polynésie
be84| Belgique
ame84| Amérique
J’ai ouvert quelques livres (Langevin, Ferron, Blais, Nicole Brossard…) en lisant des passages au hasard, à la recherche d’une réponse à mon sentiment, ou ne serait-ce que d’une impression de dialogue avec des frères et sœurs. Mes doigts se sont laissé tenter, entre autres, et je ne saurais vraiment dire pourquoi, par L’Allié de personne, ce bouquin réunissant des articles critiques de l’étonnant solitaire Robert Lévesque. En le feuilletant je suis tombée sur la critique d’une pièce à laquelle j’avais pu assister* à Montréal en 2000, je crois, Les Chaises de Ionesco avec ces monuments de Gérard Poirier et Hélène Loiselle. Aussitôt je me suis trouvée transportée dans la métropole, connectée mentalement à mon ilôt, en voyage éclair.
Le lendemain dans la même salle de lecture il se passait cette chose étrange. À quelques mètres de moi j’aperçois une silhouette discrète, qui me semblait un peu fragile tout en étant très affirmée. J’ai l’impression qu’il s’agit de Nancy Huston et j’en ris intérieurement, me disant “Oh ! ça ne va pas, si le sentiment de solitude provoque chez toi des hallucinations ridicules…” Pourtant il s’agissait bel et bien de l’auteure. Il y a de nombreuses salles dans cette immense bibliothèque. Pourtant la veille je lisais son livre au même endroit. J’ai eu envie de lui écrire un mot, que j’aurais laissé sur son bureau. Je me suis ravisée, me disant qu’à sa place je souhaiterais sans doute travailler dans l’anonymat, ou au moins en avoir l’illusion. Et puis j’ai pensé à ses lettres sur l’exil écrites il y a plus de vingt ans. Peut-être n’a-t-elle plus du tout aujourd’hui le même sentiment vis-à-vis de cette terre d’accueil que nous avons en commun.
Il reste que j’ai trouvé dans cette “rencontre” sans paroles ni échange quelque chose de rassurant, que je ne pourrais pas expliquer, et que je souhaitais partager **.
* avec qui?, à quelle occasion?, je ne sais plus, comme si j’avais rêvé
** au moins avec MoK
fins
6 octobre 2008 § 4 Commentaires
Je me disais hier soir, je repensais à ceux qui ont déjà crié à la mort du roman. Je me disais que pour qu’il meurt, il faudrait, il me semble, pouvoir affirmer que tous les autres romans déjà écrits derrière sont morts eux aussi. S’il faut chercher (mais le faut-il?) une part d’éternité en cet univers ridicule, on peut peut-être la trouver là, dans la fiction. Quand le regard et l’imagination de l’humain n’auront plus l’envie ni la capacité de trouver une parole, ou une voix pour s’exprimer, n’auront plus la capacité de se projeter dans une invention pour dire, on pourra peut-être annoncer la fin de quelque chose, mais alors ce sera davantage une fin du monde que la fin du roman… Je ne sais pas.
détails
17 août 2008 § Poster un commentaire
(En lien avec cette belle image du recul devant le tableau de Vélasquez.) Pour ma part, je me sens souvent minuscule devant l’immensité d’une question ou d’un phénomène, puis, sans avoir envie d’exprimer un point de vue, je prends plaisir à m’attarder aux détails du tableau, je me perds en chacun d’eux, j’y flâne de bon gré, dans les limites de ma compréhension. Comme dirais Benjamin concernant la flânerie, c’est peut-être de cette façon que notre “intelligence va au marché”.
that's my steak, liberty
30 avril 2008 § Poster un commentaire
Une petite nostalgie de l’Amérique ? Se faire une soirée western et spaghetti à la tomate… Aller voir dans la vieille salle de 90 places de l’Action de la rue Christine, calée dans un gros siège en velour bleu, The Man Who Shot Liberty Valance en version originale sous-titrée… (Ce n’est pas dans mes habitudes, mais je ne peux pas résister, je glisse un lien vers cette scène formidable où John Wayne, les pouces glissés derrière sa ceinture, prononce la célèbre réplique : « That’s my steak, Valance… » . Et puis quel coup du pied ! En voyant les méchants apparaître au début du film vêtus d’un manteau blanc, leur première manoeuvre : une attaque de diligence en bonne et due forme en pleine nuit, je savais que ça me plairait. )
sans trace
16 janvier 2008 § Poster un commentaire
Tard ce soir-là (il y a deux ou trois ans) j’ai marché très longtemps pour rentrer chez moi, j’ai marché sous la neige et fait une sorte de pèlerinage : un long détour dans la tempête et dans la nuit pour passer devant mon ancien appartement, celui qui donnait sur une petite ruelle et que j’ai dû quitter précipitamment pour des raisons bizarres (un fou avait défoncé la vitre de ma porte d’entrée à coups de boîte à fleurs à 3 h du matin, fleurs – verre cassé – terre noire répandus partout sur le plancher de la cuisine, mais personne, je n’avais vu personne, restée cachée derrière la porte de ma chambre à attendre de me faire attaquer, jusqu’à ce qu’il n’y ait plus un bruit sinon celui du vent s’engouffrant par la vitre brisée : quelqu’un, un homme manifestement sous l’emprise d’une grande colère, s’en était pris à mon minuscule territoire !, c’était si peu mais tout ce que j’avais, et je ne pouvais pas donner un visage à cet homme, alors plus jamais je ne me suis sentie chez moi, et j’ai quitté les lieux après m’être acharnée un mois durant à tenter de me réapproprier ces quelques mètres carrés). Tard ce soir-là, disais-je, suis restée quelques minutes à réfléchir sans bruit devant la porte de l’endroit que j’avais dû fuir un an ou deux auparavant. Devant moi des traces de chat dans la neige. On abandonne tant de lieux, d’endroits auxquels on s’identifiait, auxquels on donnait une couleur, qui portaient nos empreintes, puis il n’en reste étrangement presque plus rien après seulement quelques mois d’abandon. J’ai revu aussi cette nuit-là les petits marchés où j’allais, les boutiques. Et c’était la même impression.
Je suis fascinée par les traces qu’on ne laisse pas, qu’on porte seulement en nous, en secret. Il y en a beaucoup. J’ai beaucoup, beaucoup de souvenirs. Il me semble que c’était comme ça déjà quand j’étais toute petite, alors que je ne vivais rien en apparence, et que tout n’était qu’observation (d’ailleurs est-ce vraiment différent aujourd’hui où j’ai le sentiment de vivre des choses ? je prends toujours autant de plaisir et de temps à observer). Des tas de souvenirs, toute petite. Je les conservais soigneusement pour pouvoir les manipuler en secret à mon goût, un peu comme si c’était modelage d’argile.
{lieux habités et désertés sur 4 villes et 17 rues, 16 déménagements, entre 1995 et 2007, mais peu importe}

